Algérie : Liberté d’expression ou menace pour l’État ? Le débat brûlant autour des intellectuels algériens

Ce matin, Rafa Jazairi, spécialiste algéro-canadien des groupes islamistes, a publié une vidéo polémique dénonçant plusieurs figures algériennes, notamment l’avocat Abdelghani Badi et son client Abdelouakil Blem. Ces deux extrémistes arabophones algériens rappellent une série d’autres comme Mustapha Bouchachi, Boualem Sansal et Kamel Daoud, ainsi que Ihsane El Kadi et Khaled Drareni. Hadda Hazzam souvent épargnée mange également à tous les râteliers.

Ces personnages, souvent perçus comme des défenseurs des libertés fondamentales, seraient, selon Jazairi, financés par des organisations étrangères telles que l’EED (European Endowment for Democracy), la NED (National Endowment for Democracy) ou encore Open Society Foundations, ainsi que par certains États du Golfe et d’Europe. Leur objectif commun : fragiliser l’État algérien, saper l’autorité de l’armée et installer un climat de méfiance au sein du peuple algérien.

Une République sous pression : entre modernité et retour du califat ?

Pour Rafa Jazairi, l’enjeu dépasse largement la critique politique habituelle. Il accuse ces personnages d’œuvrer pour un retour à un système califal, similaire à celui de l’Empire ottoman, où la religion dicterait les lois et le quotidien des citoyens.

Ces accusations s’appuient notamment sur l’influence de chaînes telles que Al Jazeera, basée à Doha depuis 1995, et Al Magharibiya, établie à Londres depuis 2012. Ces médias sont soupçonnés de jouer un rôle clé dans cette guerre d’influence, en ciblant principalement les jeunes Algériens, souvent désillusionnés et connectés. Les réseaux sociaux, quant à eux, servent de terrain fertile pour amplifier ces discours, rendant la lutte contre ces influences numériques encore plus complexe.

Le paradoxe du système juridique algérien

Un autre point soulevé indirectement par Rafa Jazairi est le rôle de l’éducation juridique en Algérie. Enseigné exclusivement en arabe, le droit algérien souffrirait, selon certains experts, d’un cloisonnement linguistique. Cela aurait limité l’accès à une pensée juridique moderne et universelle, pourtant largement inspirée du Code Napoléon.

Cette contradiction est flagrante lorsque l’on compare les principes constitutionnels garantissant l’égalité entre les citoyens, indépendamment de leur sexe, religion ou origine, et certaines lois inspirées par une lecture conservatrice de la charia, notamment en ce qui concerne les droits des femmes.

Liberté d’expression ou incitation à la sédition ?

La grande question posée par de nombreux spécialistes est de savoir s’il faut juger et emprisonner ces figures publiques accusées d’incitation à la sédition, ou s’il est préférable de limiter leurs moyens d’expression tout en préservant leur liberté.

Les emprisonner risquerait de les transformer en héros aux yeux de l’opinion publique algérienne et internationale. Cela renforcerait leur légitimité et les rendrait intouchables sous la pression des ONG et des défenseurs des droits de l’Homme.

La solution que l’on pourrait soumettre serait celle de leur interdire l’accès aux plateformes médiatiques étrangères, notamment Al Magharibiya, de surveiller leur présence sur les réseaux sociaux de manière stricte, et enfin, de préserver leurs autres droits fondamentaux pour éviter d’alimenter une rhétorique victimaire. L’idée est de désamorcer leur influence sans en faire des symboles de résistance.

Une réforme linguistique pour un horizon plus ouvert

Au-delà du débat politique et sécuritaire, certains intellectuels algériens soulèvent une question cruciale : la nécessité de réintroduire massivement la langue française dans les lycées et universités algériennes, comme c’était le cas jusqu’aux années 1980.

Une maîtrise bilingue permettrait aux étudiants d’accéder à une pensée juridique, scientifique et philosophique plus universelle. Le français, parlé par plus de 400 millions de locuteurs aujourd’hui et en passe d’atteindre un milliard d’ici 2050, représente un outil stratégique pour briser l’isolement intellectuel et limiter l’influence des idéologies extrémistes.

Le débat sur le bilinguisme : français ou anglais ?

Le bilinguisme en Algérie suscite une question fondamentale : faut-il privilégier le français ou l’anglais comme seconde langue officielle d’enseignement ?

Pour certains Algériens, le français reste perçu comme la langue de l’ennemi colonisateur, héritée d’une histoire douloureuse marquée par 132 ans d’occupation. De l’autre côté, l’arabe est considérée comme la langue sacrée, la langue d’Allah, tandis que l’anglais est vue comme la langue des sciences, de la technologie et du progrès mondial.

Cependant, une transition massive vers un système éducatif anglophone pose des défis considérables : Les coûts financiers colossaux, la formation des enseignants, la révision complète des programmes scolaires et enfin l’acquisition de ressources pédagogiques adaptées.

De plus, une telle réforme nécessiterait un temps considérable et une stratégie rigoureuse pour assurer une transition réussie sans compromettre la qualité de l’enseignement.

En revanche, le français, malgré ses connotations historiques, reste un “butin de guerre”, selon l’écrivain et linguiste Kateb Yacine. Déjà profondément ancré dans les institutions algériennes, il permet un accès immédiat à un vaste corpus scientifique, juridique et culturel, tout en facilitant les échanges avec les partenaires historiques.

La solution optimale ne serait donc pas de choisir entre le français et l’anglais, mais de promouvoir un multilinguisme équilibré, où l’arabe, le français et l’anglais coexistent harmonieusement, chacun remplissant un rôle spécifique dans le développement académique, économique et culturel du pays.

Entre fermeté et ouverture

Le débat lancé par Rafa Jazairi soulève des questions complexes. Faut-il privilégier la fermeté pour préserver l’ordre public, ou l’ouverture pour stimuler un dialogue constructif et inclusif ? Une chose est certaine : la solution ne réside pas dans l’emprisonnement, mais dans une réforme profonde du système éducatif, linguistique et médiatique.

L’Algérie se trouve aujourd’hui à un carrefour décisif, où chaque choix déterminera non seulement son avenir politique, mais aussi son identité culturelle et sociale.

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