Blanchiment made in Algeria : pourquoi les voleurs dorment tranquilles en Suisse, à Paris ou à Washington? 

Le grand écart algérien

L’Algérie est placée sous surveillance renforcée par le GAFI et la Commission européenne. Elle figure sur la fameuse « liste grise » des pays jugés défaillants dans la lutte contre le blanchiment d’argent. Sur le papier, cela signifie pression internationale, réformes urgentes, injonctions à la transparence.

Mais un fait brutal saute aux yeux : les principaux acteurs de la corruption d’État algérienne vivent paisiblement à l’étranger, et les grandes puissances qui réclament des comptes à Alger refusent, dans les faits, toute coopération sérieuse pour extrader ou sanctionner ces figures clés. Un paradoxe flagrant, presque obscène, que personne n’ose frontalement nommer : le système international anti-blanchiment protège ceux qu’il prétend combattre.

Des fugitifs très bien entourés

Chakib Khelil, l’homme au cœur des scandales Sonatrach, vit tranquillement aux États-Unis. Abdeslam Bouchouareb, condamné par contumace pour corruption, a trouvé refuge en France. Ni Washington ni Paris ne donnent suite aux demandes d’extradition de l’Algérie. Quant aux fortunes amassées par les familles Bouteflika, Kouninef, Haddad ou autres oligarques du sérail, elles dorment à l’abri dans les coffres des banques suisses, protégées par les couches épaisses du secret bancaire et des intérêts croisés.

La Suisse promet, chaque année ou presque, de coopérer. Mais derrière les déclarations, rien ne bouge. Les mécanismes de restitution d’avoirs sont volontairement lents, entravés par des subtilités procédurales et un flou juridique que seuls les cabinets d’avocats privés savent manier. En clair, les capitaux volés à l’Algérie restent bloqués à l’étranger. Et ceux qui les ont déplacés ne risquent rien.

Une architecture à double fond

Le paradoxe algérien du blanchiment d’argent révèle une hypocrisie systémique. Les pays riches dictent les normes, distribuent les avertissements et classent les pays du Sud, mais ferment les yeux sur les fortunes qu’ils accueillent. Le GAFI, né d’une volonté de réguler les flux criminels après les attentats de 2001, s’est transformé en un outil de contrôle asymétrique. L’Algérie, comme d’autres États africains ou asiatiques, doit prouver qu’elle lutte contre le crime financier, pendant que l’Occident héberge les produits de ce même crime.

Ce déséquilibre n’est pas un accident. Il est le cœur même du système. Les centres financiers occidentaux prospèrent sur l’argent sale des élites corrompues du Sud. C’est une alliance tacite, où chacun y trouve son compte : l’impunité pour les uns, les commissions et les dépôts pour les autres.

Que peut faire l’Algérie ?

Face à cette duplicité, la seule réponse possible est de reprendre l’initiative. Cela passe d’abord par une réforme réelle des institutions financières algériennes : une traçabilité stricte des mouvements d’argent, une transparence du patrimoine des hauts fonctionnaires, et une justice qui ne sélectionne pas ses cibles en fonction de leur loyauté.

Mais cela ne suffit pas. Il faut aussi regarder ailleurs que vers Paris ou Genève. Nouer des alliances judiciaires avec des pays du Sud, renforcer les canaux de coopération avec des juridictions moins perméables aux intérêts bancaires, et surtout, exposer publiquement les pays qui abritent les biens mal acquis. La guerre contre le blanchiment d’argent ne peut être gagnée que si elle est menée sur deux fronts : en interne, contre la corruption locale, et à l’international, contre les complices respectables de cette prédation.

Une vérité dérangeante

En fin de compte, le paradoxe du blanchiment algérien n’est pas une bizarrerie. C’est un miroir, dans lequel se reflète une vérité dérangeante : le monde ne lutte pas contre la corruption, il la recycle. Tant que les puissances occidentales continueront d’abriter les fortunes volées au peuple algérien, aucune réforme ne sera crédible, et aucune justice ne sera complète.

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