Cherchell, perle oubliée de la Méditerranée
De Juba II à aujourd’hui, histoire et mémoire d’une cité exceptionnelle
Ils n’ont rien en commun, sinon leurs origines. Le roi Juba II, l’empereur romain Macrin et Boualem Benhamouda, ministre sous Boumediène, sont tous trois nés à Cherchell, cette ville côtière de l’Algérie qui fut jadis l’une des capitales les plus rayonnantes de la Méditerranée.
Nichée au bord de la mer, à une centaine de kilomètres d’Alger, Cherchell — connue autrefois sous le nom de Iol, puis Caesarea à l’époque romaine — est une cité atypique, d’une beauté presque irréelle. Fouler son sol pour la première fois, c’est avoir l’impression de voyager dans le temps. On y retrouve côte à côte des vestiges romains, des maisons mauresques héritées de l’époque ottomane, des bâtisses au style haussmannien de la colonisation française, et enfin les constructions modernes de l’Algérie indépendante.

En arrivant, c’est d’abord le vieux phare qui vous accueille, planté face à la Méditerranée, rappelant que la mer a toujours veillé sur Cherchell et ses habitants. Ici, les sardines fraîchement pêchées sont une véritable institution. C’est d’ailleurs en cherchant à en déguster que nous avons croisé un homme d’un âge presque biblique.
Le doyen devenu guide d’un jour
Il avait 97 ans, la démarche assurée, les yeux d’un vert émeraude saisissant, le regard profond. Malgré son grand âge, il se tenait droit, alerte, dynamique, presque espiègle. Cet homme, c’était Abderrahmane Benhamouda, ébéniste de son état, devenu pour nous ce jour-là un guide improvisé.
« Je ne sors jamais à cette heure-ci, mais j’allais acheter des glaces… », dit-il en riant.

Il nous apprend alors que son grand-père, Mohamed Benhamouda, avait participé à la bataille du Rhin en 1870. Et, comme si l’histoire familiale s’entremêlait avec celle du pays, il confirme que son frère n’était autre que Boualem Benhamouda, plusieurs fois ministre sous Houari Boumediène.
Nous lui avons demandé de nous mettre en contact avec ce dernier, aujourd’hui âgé de 92 ans, qui réside à El Biar, à Alger. Nous souhaitons lui rendre visite à notre tour, pour lui rendre hommage et prolonger cette rencontre familiale et historique.

Héritage artisanal et mémoire vivante
Abderrahmane, artisan reconnu, a transmis son atelier d’ébénisterie à son fils, ingénieur informaticien de formation, contraint de reprendre le flambeau pour préserver une tradition familiale. Mais à 63 ans, ce dernier se désole de ne pas trouver de successeur dans la famille, malgré la formation de stagiaires issus de l’école d’ébénisterie. L’histoire d’un savoir-faire qui risque de disparaître, comme tant de trésors de Cherchell.
Avant de nous quitter, nous avons pris un engagement avec notre guide : en 2028, lorsqu’il aura 100 ans, nous reviendrons fêter ensemble son centenaire, ici même, dans sa ville tant aimée.

Une cité au passé glorieux
Cherchell fut le joyau du royaume de Maurétanie, sous le règne éclairé de Juba II et de son épouse Cléopâtre Séléné, fille de Marc Antoine et de Cléopâtre d’Égypte. À l’époque romaine, devenue Caesarea, elle rivalisait avec Carthage et Alexandrie par sa richesse et son rayonnement culturel.
Son sol a vu naître un empereur : Macrin, éphémère maître de Rome au IIIᵉ siècle. Et, bien plus tard, elle accueillit l’Académie militaire de Saint-Cyr, transférée ici durant la Seconde Guerre mondiale, lorsque Paris était tombée aux mains des Allemands.
Une ville au potentiel immense
Chaque ruelle de Cherchell raconte une histoire, chaque pierre porte une mémoire. Mais la ville souffre : beaucoup de ses monuments nécessitent restauration et mise en valeur. Trop souvent oubliée, elle mériterait pourtant une visibilité internationale à la hauteur de son passé glorieux.
Car Cherchell, Iol, Caesarea, ville des rois et des empereurs, est une cité qui condense l’histoire de la Méditerranée. Elle devrait figurer dans les grands circuits culturels mondiaux, au même titre que Carthage, Athènes ou Rome.
Une deuxième visite s’impose, pour prendre toute la mesure de ce patrimoine inestimable. Mais surtout, un appel aux autorités s’impose : redonner à Cherchell la place qu’elle mérite, pour que cette perle méditerranéenne rayonne à nouveau sur la scène internationale.
