Immigration : La Cour des comptes européenne dénonce l’échec de la Commission européenne

Dans un rapport cinglant (https://www.eca.europa.eu/ECAPublications/AR-2022/AR-2022_EN.pdf), la Cour des comptes européenne dénonce l’échec du Fonds fiduciaire d’urgence de l’UE pour l’Afrique (FFU), un mécanisme mis en place pour faire face à la crise migratoire de 2015. Avec un budget colossal de 5 milliards d’euros, ce fonds révèle un enchaînement d’erreurs, de projets fantômes et d’incompétences bureaucratiques. L’enquête menée sous la direction de Bettina Jakobsen dresse un constat accablant : le FFU n’a pas rempli sa mission, gaspillant des milliards sans réellement freiner les flux migratoires.

Des projets absurdes et des financements déconnectés

L’un des aspects les plus choquants du rapport concerne les projets financés par le FFU, souvent sans aucun lien direct avec la migration. En Libye, des fonds européens destinés à la gestion migratoire ont servi à rénover une corniche côtière et à restaurer un théâtre romain, tandis que des milliers de migrants croupissent dans des centres de détention opaques.

En Éthiopie, la situation atteint le comble de l’absurde : à la page 33 du rapport, les auditeurs révèlent que des mixeurs ont été distribués à des écoles… qui ne sont même pas raccordées à l’électricité. « C’est la quintessence du gaspillage », s’insurgent Michael Bain et Edwin van Veen, les auditeurs qui ont levé le voile sur un véritable cimetière de projets inutiles.

Un cimetière de projets fantômes

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : sur les 115 investissements analysés, 33 projets sont d’ores et déjà abandonnés, et 66 autres sont en soins palliatifs. Parmi ces initiatives absurdes, un abattoir flambant neuf et une ferme avicole high-tech, construits en pleine zone désertique, pourrissent sous le soleil faute de viabilité économique. Ces infrastructures, censées offrir des opportunités locales et freiner l’exode rural, témoignent de la mauvaise gestion chronique des fonds alloués.

Des chiffres gonflés, des succès maquillés

La Commission européenne, pour sa part, tente de se défendre en avançant la création de 14 028 emplois. Cependant, selon le rapport, ce chiffre est largement exagéré. En Gambie, les auditeurs ont découvert des « bénéficiaires fantômes » ayant reçu plusieurs fois la même aide pour des projets inexistants, notamment dans le domaine de l’aviculture.

Pire encore, le FFU ferme les yeux sur les violations des droits humains. Aucune procédure de signalement, aucun suivi n’est mis en place. En Libye, les centres de détention financés par l’UE restent des « boîtes noires », inaccessibles même aux auditeurs. Qui gère ces installations après leur fermeture officielle ? Un mystère total.

Un système de suivi inefficace

Le rapport dévoile également un système de suivi défaillant, où les chiffres sont systématiquement gonflés et les échecs maquillés en succès. En Éthiopie, par exemple, 100 simples postes de lavage des mains se transforment magiquement en 100 « réalisations distinctes », faussant ainsi les rapports d’avancement.

Dans les pays comme la Gambie, les centres d’information sur les migrations, financés par l’UE, disparaissent dès que les fonds sont coupés. Les autorités locales, censées prendre le relais, se montrent désespérément absentes, exposant encore davantage les faiblesses structurelles du programme.

Un aveuglement statistique

Le FFU va jusqu’à compter certaines activités de « contrôle des frontières » comme de l’« aide au développement », une fraude statistique qui gonfle artificiellement le bilan de l’aide européenne. Ce tour de passe-passe comptable masque l’échec de la politique migratoire de l’Union, qui a englouti des milliards sans résultats tangibles.

La Commission européenne sous le feu des critiques

Face à ce rapport dévastateur, la Commission européenne tente une défense maladroite. « Nous avons pris bonne note des recommandations et nous les avons acceptées. Nous reconnaissons que nous travaillons parfois dans des situations complexes », a réagi une porte-parole de la Commission. Promettant de « mieux cibler » l’aide et d’« améliorer l’exactitude des données », elle promet de renforcer la détection des risques.

Pourtant, ce n’est pas la première fois que la Cour des comptes européenne met en lumière les défaillances du FFU. En 2018 déjà, un premier rapport pointait des aides mal ciblées et des retards importants. Mais, selon Bettina Jakobsen, « les critiques restent inchangées, car le champ d’action du fonds demeure trop vaste et mal structuré ».

Une chaîne de responsabilités floue

La création du FFU remonte à la présidence de Jean-Claude Juncker. À l’époque, c’est Federica Mogherini, haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères, qui en était responsable. Aujourd’hui, sous la Commission von der Leyen, la gestion du FFU est partagée entre la Finlandaise Jutta Urpilainen, commissaire aux Partenariats internationaux, et le Hongrois Oliver Varhelyi, en charge du Voisinage et des négociations d’élargissement. Ce dernier doit prochainement passer des auditions devant le Parlement européen.

Sera-t-il interrogé sur cet échec retentissant ? L’avenir le dira. Quoi qu’il en soit, le Fonds fiduciaire d’urgence pour l’Afrique est devenu le symbole des défaillances de l’UE en matière de gestion migratoire.

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