Mohamed Sifaoui ou la dérive d’une certaine diaspora : quand la quête de reconnaissance passe par le reniement

Il y a des trajectoires qui en disent long sur les fractures du monde arabe en Europe. Celle de Mohamed Sifaoui, journaliste d’origine algérienne réfugié en France à la fin des années 1990, en est un parfait exemple. Autrefois présenté comme un défenseur de la liberté de la presse et un rescapé des années noires algériennes, il est devenu, au fil du temps, une figure controversée — plus connue aujourd’hui pour ses diatribes contre l’islamisme, ses attaques virulentes contre l’Algérie officielle et, plus récemment, pour son sionisme revendiqué.
Sur les ondes de Radio J, Sifaoui a déclaré sans détour être “sioniste”, tout en affirmant son attachement à la “pérennité et à la sécurité de l’État d’Israël”. Jusque-là, chacun est libre de ses opinions. Mais ce qui dérange, c’est le ton d’exclusivité de ses propos : soutien inconditionnel à Israël, silence total sur le sort des Palestiniens, mépris à peine voilé envers ceux qui, dans le monde arabe, en Europe et même en Israël, continuent de défendre cette cause.
Or, ce silence n’est pas neutre. Il résonne comme un désaveu identitaire, une manière d’effacer ses racines pour mieux exister dans l’espace médiatique français.
Quand l’intégration devient effacement
Soyons clairs : ce phénomène dépasse le cas Sifaoui. Dans la diaspora maghrébine, certains journalistes et intellectuels semblent avoir compris une règle implicite : pour être audibles en Europe, il faut se désolidariser du monde arabo-musulman.
On commence par condamner — souvent à juste titre — l’islamisme et ses dérives. Puis, petit à petit, la frontière se brouille entre critique de l’extrémisme et rejet de tout ce qui rappelle l’identité musulmane ou arabe.
Ce repositionnement, qui se veut “universaliste”, se transforme souvent en auto-censure culturelle. Et c’est ainsi qu’un réfugié algérien devient, en l’espace de quelques années, un invité régulier des plateaux parisiens… mais au prix d’un certain reniement collectif.
Le syndrome de la reconnaissance
La France, et plus largement l’Europe, valorisent les voix issues de l’immigration qui confortent leurs narratifs : la laïcité “à la française”, la méfiance envers l’islam politique, ou encore la légitimité d’Israël comme “unique démocratie du Moyen-Orient”.
Dans ce contexte, afficher un soutien à la cause palestinienne, c’est risquer l’exclusion médiatique. À l’inverse, défendre Israël ou attaquer les dirigeants arabes, c’est s’assurer une place permanente dans les débats.
C’est là que naît une forme de compromission morale : pour exister dans le système, certains finissent par parler le langage du pouvoir, oubliant d’où ils viennent.
L’Algérie et la Palestine : un lien indélébile
En Algérie, la cause palestinienne n’est pas une posture politique, c’est une partie de l’identité nationale. Elle découle d’une histoire partagée : la colonisation, la lutte pour l’indépendance, la solidarité avec les peuples opprimés.
Qu’on soit pour ou contre le président Tebboune, qu’on vive à Alger, Oran ou en exil, le soutien au peuple palestinien reste un point d’unité nationale.
Alors, quand un journaliste algérien naturalisé français s’affiche sioniste et nie le droit élémentaire des Palestiniens à un État, cela heurte profondément la conscience collective.
Un malaise profond dans la diaspora
Ce qu’incarne Mohamed Sifaoui, ce n’est pas seulement une opinion controversée. C’est le symptôme d’un malaise plus large : celui d’une diaspora tiraillée entre la quête de respectabilité et la fidélité à ses origines.
Beaucoup d’intellectuels maghrébins en Europe se sentent obligés de “montrer patte blanche” pour être acceptés. Certains y voient une stratégie de survie professionnelle ; d’autres, une forme de trahison symbolique.
Mais à force de vouloir plaire à tous, on finit par ne plus appartenir à personne. Et c’est peut-être là la véritable tragédie de ce type de trajectoire : l’effacement de soi au nom de la respectabilité.
Mohamed Sifaoui ne choque pas seulement parce qu’il est sioniste. Il dérange parce qu’il incarne cette dérive d’une partie de la diaspora : celle qui croit que pour être entendue en Europe, il faut tourner le dos à ses racines, à sa mémoire et à ses solidarités.
Mais les Algériens, qu’ils soient au pays ou ailleurs, n’oublient pas. Ils savent d’où ils viennent, et surtout, de quel côté de l’histoire ils se tiennent.