Quand Bruxelles se couche à Washington mais se dresse contre Alger : deux poids, deux mesures

Ce dimanche, dans une ambiance lourde d’enjeux, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, rencontre Donald Trump sur le sol écossais. Au programme : une ultime tentative pour sauver les relations commerciales transatlantiques d’une dérive tarifaire potentiellement explosive. D’un côté, une Union européenne qui redoute l’instauration imminente de droits de douane massifs sur ses produits industriels et agricoles. De l’autre, une Amérique trumpienne, fidèle à sa méthode du “deal ou tarif”, qui impose ses conditions.
La scène est révélatrice. L’UE se rend à cette réunion non pas en partenaire égal, mais en posture défensive, cherchant un compromis à tout prix. Il est désormais question d’un accord temporaire qui réduirait les taxes américaines à 15 % sur certaines exportations européennes, loin de l’objectif initial de libre-échange sans tarif. Von der Leyen évite soigneusement le mot “capitulation”, préférant parler de “rééquilibrage pragmatique”. Mais dans les faits, l’Union fait profil bas face à la puissance américaine.
Ce contraste devient d’autant plus frappant lorsqu’on le compare à l’attitude de Bruxelles envers l’Algérie. Ce pays est pourtant lié à l’UE par un accord d’association en vigueur depuis 2005, censé favoriser les échanges, moderniser l’économie algérienne et ancrer la relation euro-maghrébine dans un partenariat d’égal à égal. Pourtant, la réalité s’est rapidement révélée asymétrique.
L’Algérie a longtemps dénoncé un déséquilibre structurel dans l’accord : ouverture unilatérale de son marché aux produits européens, désindustrialisation progressive, et très peu de retombées concrètes en matière d’investissements productifs. En 2020, le gouvernement algérien a officiellement demandé une révision de l’accord. La réponse européenne s’est limitée à des consultations formelles, sans véritable volonté de renégociation.
En 2022, face à la mise en place par Alger de restrictions sur certaines importations européennes destinées à protéger son tissu industriel, Bruxelles a durci le ton, soutenue par la Commission, a même activé une procédure d’arbitrage contre l’Algérie, accusée de violer les clauses de l’accord.
Ce double standard dans le traitement des partenaires interroge. Avec les États-Unis, l’UE fait preuve d’un réalisme diplomatique teinté de souplesse. Elle cherche à préserver coûte que coûte un équilibre, même au prix de concessions importantes. Avec l’Algérie, en revanche, elle adopte un ton autoritaire, revendiquant un respect strict du texte, sans égard pour les déséquilibres économiques ni les réalités du développement.
Ce n’est pas qu’une question commerciale. Il s’agit aussi d’un choix géopolitique. Les États-Unis restent un partenaire stratégique incontournable, un pilier de l’OTAN et un acteur essentiel de la stabilité économique mondiale. L’Algérie, elle, est vue comme un acteur périphérique, avec une économie peu intégrée aux chaînes de valeur européennes et une diplomatie souvent non alignée sur les positions euro-atlantiques.
Ce traitement différencié mine la crédibilité de l’Union européenne. À force d’afficher deux visages — conciliant avec les puissants, intransigeant avec les faibles —, Bruxelles compromet son image de puissance normative juste et équilibrée. Elle fragilise également la confiance que ses voisins du Sud placent en sa “politique de voisinage”, censée être fondée sur la coopération et la prospérité partagée.
Si l’Union européenne veut rester un acteur crédible et respecté dans les relations internationales, elle devra sortir de cette logique asymétrique. Le respect des règles ne peut être unilatéral. Un dialogue renouvelé avec Alger, tenant compte des déséquilibres historiques et des aspirations légitimes au développement, s’impose tout autant qu’un apaisement transatlantique.
Car à force de plier face à Washington et de se raidir face à Alger, l’Union risque de perdre le respect des deux. Elle défend le multilatéralisme à Paris, le contredit à Bruxelles et le discrédite à Alger.