Une question sur toutes les lèvres à Bruxelles :  La Cour de justice de l’UE a-t-elle commis un « abus de droit » en invalidant les accords UE-Maroc ?

La question soulevée est complexe et touche à plusieurs aspects du droit international, du droit européen, et des relations bilatérales entre l’Union européenne (UE) et le Maroc, notamment concernant le Sahara occidental, une région non autonome et politiquement sensible.

Il faut sans doute revenir sur le contexte de la décision de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) qui a annulé en 2021 l’accord de pêche entre l’UE et le Maroc dans la mesure où il s’appliquait aux eaux adjacentes au Sahara occidental, une région dont le statut est disputé. Cet arrêt s’appuie sur des principes du droit international relatifs à l’autodétermination des peuples et à la non-exploitation des ressources naturelles d’un territoire occupé sans le consentement de ses habitants.

Le Sahara occidental est considéré par l’ONU comme un territoire non autonome, et il y a un conflit de longue date entre le Maroc, qui revendique la souveraineté sur cette région, et le Front Polisario, un mouvement indépendantiste, représentant légitime du Peuple Sahraoui. La CJUE, dans plusieurs arrêts, a jugé que le Sahara occidental ne faisait pas partie du Maroc au sens du droit international, et que tout accord entre l’UE et le Maroc qui inclut ce territoire doit avoir l’accord explicite de son peuple.

L’« abus de droit » est un concept juridique selon lequel une institution ou une personne use d’une disposition légale de manière détournée ou contraire à son objectif premier. Ici, certains politiciens marocains ou favorables au maintien des accords commerciaux pourraient avancer que la CJUE commettrait un abus de droit en invalidant l’accord de pêche, car cela porterait atteinte aux intérêts économiques du Maroc et des entreprises européennes, et nuirait aux relations diplomatiques entre l’UE et le Maroc.

Cependant, selon le droit européen et international, la CJUE a non seulement le droit, mais l’obligation de veiller à la conformité des accords conclus par l’UE avec les traités internationaux et les principes de droit. Les décisions de la CJUE se fondent sur le respect du droit international, notamment les résolutions de l’ONU qui considèrent que le Sahara occidental a un statut distinct et séparé du Maroc.

L’arrêt de la CJUE repose principalement sur deux fondements juridiques :

  1. Le droit à l’autodétermination : Le peuple du Sahara occidental a droit à l’autodétermination en vertu du droit international, ce qui implique que ses ressources ne peuvent être exploitées sans son consentement explicite.
  2. Le principe de non-exploitation des ressources naturelles : Un territoire non autonome ne peut pas voir ses ressources exploitées par une puissance étrangère sans que ses habitants en bénéficient directement.

Ainsi, du point de vue juridique, la CJUE n’a pas commis un « abus de droit » en annulant l’accord de pêche entre l’UE et le Maroc dans la mesure où il incluait le Sahara occidental. Au contraire, elle a appliqué les principes du droit international en respectant la distinction juridique entre le Maroc et le Sahara occidental.

Les critiques de la décision peuvent provenir de considérations économiques ou diplomatiques, notamment pour le Maroc, qui perçoit la reconnaissance implicite ou explicite de sa souveraineté sur le Sahara occidental comme un enjeu stratégique. Pour l’UE, la décision crée des tensions diplomatiques avec un partenaire important du Maghreb, mais il s’agit pour la Cour de garantir la légalité des accords commerciaux au regard du droit international.

En somme, l’idée que la CJUE aurait commis un « abus de droit » repose davantage sur des arguments politiques que juridiques. La Cour a agi dans le cadre de ses compétences en veillant au respect du droit international et en protégeant les droits du peuple sahraoui. Toute tentative de révision de cette décision nécessiterait un changement dans la situation juridique et politique du Sahara occidental.

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