Béryl, le silence de l’État français

Par Louis Bulidon, ancien appelé du contingent et ingénieur chimiste, témoin des essais nucléaires français en Algérie

“Béryl sous le boisseau”, c’est ainsi que je résume l’omerta persistante autour de cet essai nucléaire français raté, conduit dans le Grand Sud algérien. Un silence assourdissant, orchestré par la puissance publique, qui perdure encore aujourd’hui.

En 2011, j’ai publié Les Irradiés de Béryl. Cette parution m’a valu une invitation dans La Marche des sciences sur France Culture, puis dans La Marche de l’histoire sur France Inter. Mon camarade de l’époque, le physicien nucléaire Raymond Sené – avec qui j’ai partagé le quotidien du site d’Im Amguel – y était également présent. Ce que nous avons livré alors comme témoignage fut reçu, au mieux, dans l’indifférence, au pire, dans l’ignorance la plus crasse de la part des autorités concernées.

Quelques années plus tard, un personnage se présente à nous, prétendant avoir mené une mission technique sur le site d’In Ekker, avec du matériel dernier cri, sans y avoir relevé la moindre trace de radioactivité. Cela, quatre ans seulement après l’essai de Béryl. Très vite, il s’est trahi : il ignorait jusqu’au nom de notre base vie, le camp Saint-Laurent, où nous avions séjourné durant six mois.

Ce même individu n’a cessé, par la suite, de me harceler avec ses thèses négationnistes. Dernier épisode en date : juste avant l’émission de Lila Lefèvre du 19 février, il me provoque à nouveau sur un ton cynique, en liant la question de Béryl aux revendications algériennes : “L’Algérie va encore réclamer de l’argent à la France”, disait-il. Il affirmait avoir récemment arpenté le Hoggar, compteur Geiger à la main, sans mesurer plus de radioactivité que sur son balcon en métropole.

La réaction de Raymond Sené fut immédiate : un sourire ironique, accompagné d’un rappel utile – il y a un bouton marche/arrêt sur un compteur Geiger.

Voilà donc comment la France, mon pays, a traité notre témoignage. Voilà comment les victimes de Béryl, nos camarades appelés du contingent, sacrifiés au pied du Tan Afella le 1er mai 1962, ont été oubliées.

Je veux ici rappeler l’émotion profonde que suscitent, chez nous vétérans, les récits poignants des malades irradiés. Leur sort, longtemps passé sous silence, est une blessure encore vive.

Enfin, comment ne pas évoquer la défaillance de l’historien Benjamin Stora, pourtant mandaté officiellement pour faire la lumière sur la mémoire coloniale ? Dans son rapport remis au président de la République en janvier 2021, aucune mention sérieuse de Béryl, ni des conséquences des essais nucléaires français dans le Hoggar. Complicité ou aveuglement ? Dans tous les cas, un échec coupable.

Il est grand temps que ce silence soit brisé.

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