Controverse entre Jazairi et Al-Taweel : Quand les débats religieux l’emportent sur les priorités technologiques du Monde arabe

L’affaire récente qui oppose le célèbre blogueur algéro-canadien Rafaa Jazairi au prédicateur koweïtien Salem bin Saad bin Salem Al-Taweel a relancé un débat complexe autour de la terminologie religieuse et des luttes pour l’indépendance. À travers une vidéo publiée sur sa chaîne YouTube, Rafaa Jazairi a fermement répondu aux déclarations de ce prédicateur, qui remettait en cause non seulement le nombre de victimes algériennes de la colonisation française, mais aussi l’usage du terme « martyr » pour désigner les Algériens morts durant cette période.

Al-Taweel, formé dans des institutions religieuses prestigieuses en Arabie Saoudite et chroniqueur régulier du journal koweïtien Al-Watan, a suscité la controverse en affirmant que les Algériens tués pendant la guerre d’indépendance contre la France ne devraient pas être qualifiés de « martyrs », un terme qui, selon lui, devrait être réservé à des contextes religieux spécifiques. Cette déclaration a immédiatement provoqué l’indignation, notamment en Algérie, où les millions de victimes de la colonisation sont célébrées comme des héros et martyrs de la nation.

L’importance historique des martyrs algériens

L’Algérie a souffert pendant 132 ans sous le joug colonial français, et le bilan humain de cette période reste un sujet délicat. De nombreux historiens estiment que la colonisation a fait plus de 5 millions de victimes, dont beaucoup sont considérées comme des martyrs. Ce terme revêt une signification particulière dans la conscience collective algérienne, étant donné que la guerre d’indépendance (1954-1962) a souvent été perçue, non seulement comme un combat nationaliste, mais aussi comme une lutte pour la préservation de l’identité et de la dignité d’un peuple majoritairement musulman.

Pour Rafaa Jazairi, la remise en cause de l’usage du terme « martyr » est une insulte à la mémoire des millions de victimes algériennes. Il rappelle que le sacrifice consenti par ces hommes et femmes va bien au-delà des critères religieux restreints imposés par Al-Taweel. L’hommage aux morts de la colonisation n’est pas uniquement une question de religion, mais un symbole de résistance contre l’oppression, d’où l’importance de maintenir ce qualificatif.

La relation historique entre le Koweït et l’Algérie

Le débat entre Rafaa Jazairi et Salem Al-Taweel intervient dans un contexte plus large de relations historiques entre l’Algérie et le Koweït, des relations marquées par une amitié profonde et un soutien mutuel. Dès les années 1950, en pleine lutte pour l’indépendance algérienne, le peuple koweïtien, malgré sa propre situation de colonisés sous domination britannique, a manifesté un soutien sans faille au Front de Libération Nationale (FLN). Des écoles koweïtiennes ont même sacrifié leur budget culturel pour aider financièrement la résistance algérienne. Cet acte de solidarité, peu connu du grand public, témoigne des liens d’amitié entre les deux peuples.

Après l’indépendance du Koweït en 1961, alors que l’Irak menaçait d’annexer ce petit émirat, l’Algérie fut l’un des pays arabes qui appuya l’idée pour protéger la souveraineté koweïtienne. Cette solidarité mutuelle a perduré au fil des ans, renforcée par une coopération sur la scène internationale, notamment dans le cadre de la défense des droits des Palestiniens et d’autres causes communes.

La crise politique au Koweït

Cependant, au-delà des questions de mémoire historique et de terminologie, la situation politique actuelle au Koweït est marquée par des crises parlementaires. En mai 2024, l’émir du Koweït, le cheikh Meshal al-Ahmad al-Sabah, a dissous le Parlement à peine six semaines après les élections, soulignant une incapacité à former un gouvernement stable en raison de querelles entre les députés, dont beaucoup sont d’obédience islamiste extrémiste. Cette instabilité politique récurrente, qui a déjà conduit à plus de dix dissolutions parlementaires depuis l’adoption du système en 1962, pose un véritable défi pour la stabilité du pays et la mise en œuvre de réformes économiques nécessaires, notamment dans le contexte de la dépendance à l’industrie pétrolière.

La question des priorités dans le monde arabe

Cette affaire soulève également des interrogations plus larges sur les priorités des sociétés arabes contemporaines. Le bloggeur Rafaa Jazairi pouvait également rappeler, dans sa réponse à Al-Salem El Taweel, que le monde arabe, et en particulier des pays comme le Koweït et l’Algérie, a besoin de savants et de spécialistes dans des domaines comme la science, la technologie, l’intelligence artificielle, plutôt que de se concentrer exclusivement sur des débats religieux. Dans un monde en mutation rapide, où les défis économiques, climatiques et technologiques nécessitent des réponses urgentes, il est crucial de repenser le rôle des intellectuels et des leaders d’opinion dans la région.

L’affaire Rafaa Jazairi contre Salem Al-Taweel dépasse le simple débat terminologique pour toucher à des questions plus vastes de mémoire historique, de relations internationales et de priorités sociétales dans le monde arabe. Dans un contexte où le Koweït et l’Algérie continuent de maintenir des liens fraternels, il est impératif de recentrer le débat sur ce qui peut réellement faire progresser ces nations, tout en respectant la mémoire et l’héritage de ceux qui se sont battus pour leur liberté.

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