Crise silencieuse entre l’Algérie et l’Union européenne : quand le dialogue cède la place à l’arbitrage

L’ouverture unilatérale d’une procédure d’arbitrage par la Commission européenne à l’encontre de l’Algérie dans le cadre de l’accord d’association UE–Algérie marque une rupture inattendue et problématique dans les relations bilatérales entre les deux partenaires. Cette décision, officiellement justifiée par l’existence présumée de restrictions imposées par Alger au commerce et à l’investissement européens, a été perçue comme brutale et précipitée du côté algérien, d’autant plus qu’elle intervient à peine deux mois après le lancement des consultations entre les deux parties, lesquelles avaient pourtant débuté dans un climat constructif.
La surprise de l’Algérie est d’autant plus grande que cette décision intervient dans un contexte où les signaux diplomatiques récents semblaient indiquer un apaisement. Le ministre algérien des Affaires étrangères, Ahmed Attaf, et la haute représentante de l’Union européenne pour les affaires étrangères, Kaja Kallas, avaient en effet eu un entretien téléphonique il y a quelques jours seulement, qualifié par les deux parties de “chaleureux”, “calme” et “positif”. Rien dans cet échange n’avait laissé présager une rupture si soudaine du dialogue. Ce contraste flagrant entre la qualité du contact politique affiché et l’annonce d’un recours à l’arbitrage renforce chez Alger le sentiment d’un manque de transparence et de cohérence de la part de Bruxelles.
Pour les autorités algériennes, la Commission européenne a agi de manière unilatérale et en contradiction avec l’esprit même de l’accord d’association, qui repose sur le dialogue, la concertation et un équilibre des obligations. Le ministre Attaf souligne notamment que le Conseil d’association, seule instance compétente pour évaluer et arbitrer les différends liés à l’accord, ne s’est pas réuni depuis cinq ans, malgré les demandes réitérées de la partie algérienne. En agissant sans passer par cet organe clé, l’UE aurait donc, selon Alger, contourné les mécanismes institutionnels établis, compromettant ainsi la légitimité de sa démarche.
Ce geste européen, au-delà de son aspect strictement technique ou juridique, s’inscrit aussi dans un contexte politique plus large, marqué par une pression accrue au sein des institutions européennes à l’égard de l’Algérie. Plusieurs observateurs notent en effet l’influence croissante de certains cercles politiques européens, notamment issus de la droite dure et de l’extrême droite française, qui exercent une pression constante sur la Commission européenne et sur le Parlement européen pour durcir la ligne vis-à-vis d’Alger. Ces groupes, souvent critiques à l’égard des relations euro-méditerranéennes jugées trop conciliantes, n’hésitent pas à instrumentaliser certains dossiers pour servir leurs agendas idéologiques.
La dernière résolution adoptée par le Parlement européen contre l’Algérie en 2023 s’inscrivait déjà dans cette dynamique. Cette résolution, vivement critiquée par Alger, portait sur la situation des droits de l’homme dans le pays, mais avait été perçue comme une ingérence politique motivée davantage par des considérations internes à l’UE que par une réelle volonté de dialogue constructif. Le ton et le contenu de cette résolution, combinés au vote massif des groupes conservateurs et d’extrême droite, avaient déjà laissé entrevoir une volonté de confrontation latente.
Dans ce contexte, la décision d’ouvrir un arbitrage peut être interprétée non seulement comme une action juridique, mais aussi comme un acte politique, sous-tendu par des pressions internes au sein des institutions européennes, notamment françaises. L’Algérie y voit un précédent dangereux : celui d’un déséquilibre dans l’interprétation et l’application de l’accord d’association, où le partenaire du Sud est systématiquement sommé de s’aligner sans que ses propres préoccupations ne soient réellement prises en compte.
Face à cette situation, le ministre Attaf, en tant que président du Conseil d’association pour l’année 2025, a appelé à la convocation urgente de ce dernier afin de permettre une évaluation globale, apaisée et équilibrée de l’ensemble des différends. L’objectif affiché reste le rétablissement d’un dialogue institutionnel loyal, dans le respect des mécanismes prévus par l’accord. Il s’agit pour Alger non pas de rejeter l’idée d’un examen des désaccords, mais de contester la méthode utilisée, jugée précipitée, asymétrique et déconnectée du climat politique récent. Ce différend révèle ainsi, au-delà de la question technique des restrictions, les limites d’un partenariat euro-algérien qui peine encore à se départir d’une logique verticale, dominée par des rapports de force plutôt que par une coopération réellement mutuelle.