France-Algérie : la comparaison avec les nazis : une provocation nécessaire ?
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La guerre d’Algérie (1954-1962) a été un véritable cataclysme pour la population algérienne. Si la mémoire collective française a souvent tenté de minimiser la brutalité du colonialisme, certains historiens et observateurs n’hésitent pas à comparer les atrocités commises par l’armée française à celles des régimes les plus barbares du XXᵉ siècle. Jean-Michel Aphatie, en déclarant sur RTL le 25 février 2025 que « les nazis se sont comportés comme les Français en Algérie », a fait une comparaison audacieuse, voire choquante, qui a provoqué une onde de choc dans le débat public. Cette déclaration met en lumière une réalité douloureuse : la France a commis des exactions d’une violence extrême pendant la guerre d’Algérie, des crimes parfois proches de ceux qui ont marqué les pages les plus sombres de l’histoire humaine.
Le poids du silence historique
Pendant des décennies, la guerre d’Algérie a été un sujet délicat, un tabou dans la conscience collective française. Le récit officiel, porté par la IIIᵉ et IVᵉ République, puis la Ve République, a souvent minimisé la brutalité du régime colonial. La France, tout en se prétendant porteuse d’une « mission civilisatrice », a pourtant infligé une répression systématique aux Algériens. Les témoignages de ceux qui ont vécu cette guerre — d’anciens combattants, d’anciens tortionnaires, mais aussi des civils — témoignent d’une violence inouïe. Mais c’est surtout la démographie algérienne qui offre un chiffre accablant : des historiens, comme Mohammed Harbi, estiment que la population algérienne a diminué de manière catastrophique, avec jusqu’à deux tiers de la population victime directe ou indirecte des exactions coloniales.
Génocide ou guerre coloniale violente ?
Le terme “génocide” a souvent été un sujet de débat lorsqu’il s’agit de décrire les événements de la guerre d’Algérie. En effet, bien qu’il ne soit pas question d’une extermination systématique de tout un peuple, les pertes humaines et les méthodes utilisées par l’armée française sont comparables à celles observées dans des régimes génocidaires. Les enfumades, une méthode qui consistait à faire brûler vivants des groupes de résistants algériens dans des grottes, rappellent les pratiques de terreur les plus abominables. Le jet de prisonniers algériens par avion, dans le cadre des “crevettes Bigeard”, montre l’ampleur du cynisme et de la brutalité de l’occupant.
Les massacres de Sétif en 1945, les tortures systématiques, et les exécutions sommaires étaient autant de stratégies visant à anéantir toute résistance et à détruire l’identité nationale algérienne. Ces pratiques ne visent pas simplement à tuer des ennemis, mais à terroriser une population entière, à lui faire perdre toute dignité, toute identité, dans le but de maintenir une domination coloniale sans partage. Dans cette logique, certaines des violences de l’armée française sont suffisamment proches des méthodes génocidaires pour qu’on s’interroge sur leur qualification.
La répression systématique : de la terreur à l’annihilation culturelle
La guerre d’Algérie a été une guerre de terreur, mais aussi une guerre culturelle. Le but était de détruire tout ce qui pouvait constituer un obstacle à la colonisation. En plus des massacres et des exécutions, l’armée française a mené une répression systématique contre la culture algérienne : les écoles furent fermées, les mosquées et lieux de culte profanés, et une stratégie de dislocation familiale mise en place par les détentions arbitraires, la torture psychologique et physique. L’armée a cherché à briser toute organisation politique, sociale et culturelle.
Les réquisitions de terres, les déplacements forcés et les internements massifs dans des camps ont également contribué à la déstabilisation de la société algérienne. La réduction démographique à travers la guerre, la famine, les déplacements et la répression violente a frappé des générations entières.
La comparaison avec les nazis : une provocation nécessaire ?
En affirmant que les nazis ont copié les méthodes françaises, Jean-Michel Aphatie a mis le doigt sur un paradoxe dérangeant : comment des pratiques aussi cruelles et inhumaines ont-elles pu être commises par une nation qui se revendiquait des valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité ? Cette provocation oblige à réexaminer l’histoire coloniale sous un autre angle, celui des victimes, et non de l’oppresseur.
Les comparaisons avec les nazis peuvent paraître outrancières, mais elles soulignent une vérité historique : la violence de la guerre d’Algérie s’est inscrite dans une logique de déshumanisation qui n’est pas sans rappeler celle du régime nazi. En ce sens, la déclaration d’Aphatie peut être vue comme une tentative de briser le tabou sur les violences commises par la France en Algérie, et de permettre un dialogue plus ouvert sur ce passé colonial, souvent camouflé par le poids des nationalismes et des justifications politiques.
Une mémoire à reconstruire
Il reste un immense travail de mémoire à faire pour réconcilier les peuples, français et algériens, avec cette histoire douloureuse. Le reconnaître officiellement comme un crime de guerre ou un génocide n’est pas seulement une question de mots, mais un impératif moral pour les générations futures. La reconnaissance de la souffrance des Algériens et l’admission de la violence infligée par l’Empire colonial français ne doivent pas être perçues comme un révisionnisme, mais comme un devoir de justice envers ceux qui ont été victimes d’un système brutal et déshumanisant.
La fracture française
Jean-Michel Aphatie a eu le mérite d’ouvrir un débat difficile et crucial. Le silence autour des violences commises en Algérie est encore lourd, et les propos d’Aphatie dérangent précisément parce qu’ils remettent en question le narratif officiel de la France, celle d’une nation républicaine juste et civilisatrice. À travers cette provocation, il invite à une réflexion plus profonde sur la manière dont nous, Français et Européens, choisissons de nous rappeler l’histoire coloniale et ses atrocités, et comment cette mémoire influe sur notre rapport aux autres peuples, aux autres cultures, et à nous-mêmes.
La mémoire de la guerre d’Algérie et de ses atrocités doit être vécue comme un devoir d’histoire et non comme un fardeau. Mais pour cela, il faut que la France accepte enfin de regarder son passé en face, sans fard ni justification, et qu’elle reconnaisse les crimes de son histoire.