Kamel Daoud, Aïcha Dahdouh et le scandale Houris : la France, complice silencieuse ou arbitre impartial ?
La France, pays des Lumières et de la Justice indépendante, se targue de défendre les valeurs universelles des droits humains et la dignité individuelle. Pourtant, face à l’histoire sulfureuse entourant Kamel Daoud, couronné du prestigieux prix Goncourt pour son premier roman et aujourd’hui au cœur de multiples controverses, une question brûlante se pose : la République va-t-elle fermer les yeux sur des accusations graves qui entachent non seulement la vie personnelle de l’écrivain, mais aussi l’intégrité de l’un de ses symboles littéraires, le prix Goncourt ?
Un Goncourt sous le feu des critiques : le scandale « Houris »
Le roman Houris, écrit par Daoud et publié par Gallimard, est au centre de la polémique. L’œuvre, qui caricature et réduit la culture musulmane à une vision obsessionnelle de la sexualité et de la spiritualité, s’appuierait sur des éléments issus de la vie intime de Saâda Arbane, alias « Aube » dans le roman. Cette femme, qui n’a jamais donné son consentement pour être utilisée comme modèle littéraire, est une victime des islamistes terroristes algériens. Saâda a vu sa vie brisée lorsqu’on lui a sectionné les cordes vocales, un crime barbare commis par des islamistes radicaux dans les années noires de l’Algérie. Ironie tragique, Kamel Daoud, qui se présente aujourd’hui comme un fervent critique de l’islamisme, aurait soutenu ces mêmes idées extrêmes dans sa jeunesse, avant de se réinventer en libéral éclairé.
Pour Saâda Arbane, la publication de Houris est une double trahison : non seulement son histoire est utilisée sans autorisation dans une œuvre littéraire, mais elle est aussi déformée à des fins qui nourrissent une vision fantasmée et orientaliste de la femme arabe. En Algérie, Saâda a déjà entamé des démarches pour dénoncer cette violation de son intimité. Mais si elle décidait de porter plainte en France, les répercussions pourraient être explosives, tant pour Daoud que pour son éditeur, Gallimard.
Que risque Kamel Daoud en France ?
En France, la justice pourrait être saisie pour plusieurs motifs :
1.Violation du droit à la vie privée : Si Saâda Arbane prouve que des éléments intimes de sa vie ont été utilisés dans Houris sans son consentement, Daoud pourrait être poursuivi pour atteinte à la vie privée. En France, ce délit est puni par l’article 226-1 du Code pénal, avec une peine pouvant aller jusqu’à un an d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende.
2.Diffamation ou atteinte à l’honneur : Si l’œuvre déforme des aspects de sa vie de manière à nuire à sa réputation, Saâda pourrait également intenter une action pour diffamation, en vertu de la loi du 29 juillet 1881.
3.Violation du secret médical : Si des preuves montrent qu’Aïcha Dahdouh, en tant que psychiatre, a divulgué des informations confidentielles sur Saada ou d’autres patients, elle pourrait être poursuivie en France pour violation du secret professionnel. L’article 226-13 du Code pénal prévoit des sanctions similaires à celles de l’Algérie : jusqu’à un an de prison et 15 000 euros d’amende.
Gallimard, complice malgré lui ?
Gallimard, l’éditeur historique de Daoud, n’est pas à l’abri des conséquences juridiques. Si une plainte est déposée et qu’un tribunal estime que l’œuvre viole la vie privée ou le droit moral de Saâda Arbane, l’éditeur pourrait être tenu pour responsable. L’œuvre pourrait être retirée de la vente, et Gallimard pourrait être condamné à verser des dommages-intérêts à la plaignante.
Plus largement, la maison d’édition serait confrontée à un scandale moral : peut-on promouvoir et publier un écrivain dont l’histoire personnelle est marquée par des condamnations pour violence conjugale et des accusations de misogynie et de manipulation ?
Un conflit plus large : la cible, c’est l’Algérie
Derrière ce scandale individuel, une analyse plus vaste émerge. Kamel Daoud, comme d’autres figures controversées telles que Boualem Sansal ou Mohamed Sifaoui, sont perçus par de nombreux analystes comme des « enfants du système colonial français ». Ces écrivains, désormais naturalisés français, ont bâti leur carrière sur une critique acerbe de l’Algérie, souvent relayée avec complaisance dans les médias hexagonaux.
Pourquoi ? Pour certains observateurs, la réponse est claire : l’Algérie dérange. Depuis qu’elle a célébré le 70e anniversaire du déclenchement de sa guerre de libération, ce pays en pleine transformation tente de s’affirmer sur la scène internationale. Mais son passé colonial, combiné à ses ambitions contemporaines, fait d’elle une cible privilégiée pour des lobbies en France qui redoutent son émergence. Ces lobbies trouvent dans des figures comme Daoud ou Sansal des porte-voix parfaits pour entretenir une image négative de l’Algérie, en la réduisant à ses travers comme l’a déclaré récemment Edouard Philippe, ancien 1er ministre : corruption, autoritarisme, et islamisme.
Le prix Goncourt de Daoud, tout comme sa tribune dans Le Monde sur les violences de Cologne, s’inscrit dans une stratégie où l’écrivain sert de « relais culturel » pour stigmatiser l’arabo-islamisme, tout en dissimulant ses propres contradictions et son passé trouble.
Le silence de la France : un choix ou une hypocrisie ?
Alors que la France se présente comme le pays des droits de l’homme et de la justice indépendante, son silence face au passé judiciaire de Kamel Daoud, et aux accusations portées contre lui, est assourdissant. La justice française, si prompte à défendre les droits des femmes dans d’autres contextes, restera-t-elle immobile face à une plainte potentielle de Saâda Arbane ?
Cette affaire pose une question fondamentale : peut-on dissocier l’homme de son œuvre ? Kamel Daoud, encensé pour sa plume, reste un homme dont le passé de violences conjugales et les méthodes douteuses de création littéraire ternissent l’image. Si la France souhaite rester cohérente avec ses principes, elle devra répondre à ces interrogations, et permettre à des voix comme celle de Saâda Arbane de se faire entendre.
Une ironie tragique : l’Algérie face à ses « ambassadeurs » médiatiques
En fin de compte, cette affaire dépasse Kamel Daoud. Elle illustre une bataille culturelle plus large, où certains écrivains algériens – devenus français – se retrouvent au cœur d’un jeu politique visant à affaiblir l’image d’un pays encore marqué par ses luttes post-coloniales. Pour Saâda Arbane, cette bataille est personnelle. Pour l’Algérie, elle est nationale. Quant à la France, son rôle reste à définir : complice silencieuse ou arbitre impartial ?
Co-écrit par SébastienVanden Broek et Lila Lefèvre.