Le Massacre des Algériens du 17 octobre 1961 : Un Crime Lentement Reconnu

Le 17 octobre 1961 demeure une date marquée par l’un des épisodes les plus sombres de l’histoire coloniale française. Ce jour-là, en plein cœur de Paris, des milliers d’Algériens, manifestant pacifiquement contre le couvre-feu imposé par les autorités françaises, furent brutalement réprimés par la police sous les ordres du préfet de police de l’époque, Maurice Papon. Cet événement, longtemps occulté dans les mémoires officielles, a laissé une empreinte indélébile dans l’histoire franco-algérienne. À chaque commémoration de cet événement, la question se pose : l’État français a-t-il pleinement reconnu ce crime ?

Les faits du 17 octobre 1961

Le contexte de cette tragédie s’inscrit dans la guerre d’indépendance algérienne (1954-1962), un conflit sanglant qui opposait le Front de libération nationale (FLN) à l’armée française. En 1961, alors que la guerre touchait à sa fin, les tensions étaient vives en France métropolitaine, notamment au sein de la communauté algérienne. Un couvre-feu discriminatoire, interdisant aux « Français musulmans d’Algérie » de circuler dans Paris après 20h30, avait été instauré le 5 octobre 1961 par Maurice Papon, pour tenter de freiner les actions du FLN en métropole.

En réponse à cette mesure, le FLN organisa une grande manifestation pacifique le 17 octobre 1961 pour protester contre le couvre-feu et revendiquer la liberté. Des milliers d’Algériens, hommes, femmes et enfants, se rassemblèrent dans les rues de Paris. La répression fut immédiate et d’une violence inouïe : la police tira sur les manifestants, frappa brutalement des personnes sans défense et procéda à des arrestations massives. Beaucoup de manifestants furent jetés dans la Seine et se noyèrent. Le nombre exact de victimes reste difficile à établir, mais les historiens estiment que plusieurs centaines de personnes ont été tuées ce soir-là.

Le silence de la France et la lente reconnaissance

Pendant de nombreuses années, ce massacre fut totalement nié par les autorités françaises. Dès le lendemain, la presse fut muselée, et la version officielle minimisa considérablement les événements, parlant d’une poignée de morts. Maurice Papon, quant à lui, déclara que seuls deux ou trois manifestants avaient trouvé la mort. Il faudra attendre plusieurs décennies pour que la vérité commence à émerger.

Les années 1980 furent marquées par les premières enquêtes historiques qui révélèrent l’ampleur de la répression policière. Ce n’est qu’en 1991, trente ans après les faits, que le massacre commença à être reconnu publiquement par certains historiens et militants. Jean-Luc Einaudi, l’un des premiers historiens à documenter ces événements, joua un rôle clé dans la révélation de ce crime. Dans son livre La Bataille de Paris, publié en 1991, il dénonça le rôle central de Maurice Papon et la responsabilité des autorités.

L’évolution de la reconnaissance par l’État français

Le chemin vers une reconnaissance officielle fut long et semé d’embûches. En 1997, lors du procès de Maurice Papon pour crimes contre l’humanité, Jean-Luc Einaudi témoigna et accusa directement l’ancien préfet de police d’avoir orchestré le massacre. Papon intenta un procès pour diffamation contre Einaudi, mais en 1999, la justice française reconnut que les accusations d’Einaudi étaient fondées et que « des massacres avaient été commis » le 17 octobre 1961 sous l’autorité de Papon.

C’est en 2001, sous la présidence de Jacques Chirac, que la première reconnaissance officielle se produisit. Le maire de Paris, Bertrand Delanoë, fit poser une plaque commémorative sur le Pont Saint-Michel, en hommage « à la mémoire des nombreux Algériens tués lors de la sanglante répression de la manifestation pacifique ». Toutefois, cette reconnaissance restait limitée au niveau local.

Il faudra attendre le 50e anniversaire, en 2012, pour que l’État français fasse un pas supplémentaire. François Hollande, alors président de la République, déclara officiellement : « Le 17 octobre 1961, des Algériens qui manifestaient pour le droit à l’indépendance ont été tués lors d’une sanglante répression. La République reconnaît avec lucidité ces faits. » Bien que cette déclaration ait marqué un tournant, elle ne faisait pas usage du terme de « crime d’État », et aucune responsabilité pénale ou politique n’a été engagée.

Les commémorations et les revendications actuelles

Depuis plusieurs années, chaque 17 octobre est l’occasion de rendre hommage aux victimes et de rappeler que la reconnaissance pleine et entière de cette tragédie n’est pas encore totalement acquise. Des associations de familles de victimes, des historiens, ainsi que des militants appellent régulièrement à la reconnaissance officielle du 17 octobre 1961 comme un crime d’État. Ils exigent également l’ouverture complète des archives, ainsi que des excuses officielles de l’État français.

En 2021, pour le 60e anniversaire du massacre, le président Emmanuel Macron s’est rendu à Colombes, près de Paris, pour participer à une cérémonie commémorative. Il y a dénoncé des « crimes inexcusables » commis « sous l’autorité de Maurice Papon », mais, tout comme ses prédécesseurs, il n’a pas évoqué explicitement la responsabilité de l’État français dans son ensemble.

Le massacre des Algériens du 17 octobre 1961 reste une plaie ouverte dans les relations entre la France et l’Algérie, et dans la mémoire nationale. Bien que des avancées aient été faites, la reconnaissance officielle de ces événements reste partielle. Chaque commémoration ravive la question de savoir si l’État français ira plus loin dans cette reconnaissance, en qualifiant enfin ce massacre de « crime d’État », une étape essentielle pour permettre aux familles des victimes et à la société de tourner cette page douloureuse de l’histoire.

A propos de l'auteur

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *