Maroc : Le roi Mohammed VI suspend le sacrifice de l’Aïd 2025 — une tradition remise en question dans un pays divisé

C’est une décision historique et inédite depuis près de 30 ans. Le roi Mohammed VI a appelé les Marocains à renoncer au sacrifice rituel du mouton pour l’Aïd al-Adha 2025, prévu le 9 juin. Une mesure radicale, motivée par la crise économique persistante, la flambée des prix et une sécheresse sans précédent qui a réduit de 38 % le cheptel national en un an, selon les données du ministère de l’Agriculture.
Dans un message lu par le ministre des Habous et des Affaires islamiques, le souverain a souligné que « l’accomplissement de ce rituel dans ces conditions difficiles est susceptible de porter préjudice à une grande partie des habitants du pays, particulièrement ceux à revenu limité ». Il a également tenu à rappeler que le sacrifice n’est pas une obligation religieuse fondamentale, mais une sounna — une tradition recommandée dans l’islam.
En soutien à cette annonce, le gouvernement a pris des mesures fermes : interdiction de la vente de bétail dans plusieurs souks, contrôles renforcés sur les axes routiers, et saisies de moutons à Casablanca pour prévenir les tentatives de contournement. Ces actions marquent un tournant dans la gestion religieuse et sociale du royaume.
Une société partagée entre foi, crise et écologie
La nouvelle a profondément divisé l’opinion publique. Tandis qu’une partie de la population, notamment les foyers les plus modestes, accueille cette décision comme une forme de soulagement financier et un acte de compassion sociale, d’autres crient à l’atteinte aux traditions religieuses. Sur les réseaux sociaux, les débats font rage, certains dénonçant une « occidentalisation » rampante, d’autres saluant un geste pragmatique face à l’urgence climatique.
La polémique dépasse les frontières du royaume. Chaque année, environ 100 millions d’animaux (moutons, chèvres et bovins) sont sacrifiés dans le monde musulman à l’occasion de l’Aïd al-Adha, selon la FAO. Au Maroc, on estime que 5,6 millions de moutons sont habituellement abattus pour cette fête, générant des tonnes de déchets organiques, une forte consommation d’eau et une pollution locale non négligeable.
À l’heure du dérèglement climatique et des pénuries alimentaires, cette suspension soulève une question cruciale : peut-on encore justifier l’abattage de masse au nom de la tradition, alors que les ressources naturelles s’épuisent et que la pauvreté s’aggrave ?
Vers une nouvelle lecture des rites ?
L’appel du roi Mohammed VI, bien que contesté, ouvre un débat de fond. Il pose la question de l’adaptation des rites religieux aux réalités contemporaines : écologiques, économiques et éthiques. En cela, le Maroc amorce peut-être une réflexion que d’autres pays musulmans devront tôt ou tard entamer à leur tour.
En attendant, l’Aïd al-Adha 2025 s’annonce, pour les Marocains, bien différent des précédents. Plus silencieux, peut-être plus sobre, mais aussi chargé d’un message puissant : celui d’une monarchie qui veut réconcilier foi, responsabilité sociale et avenir durable.