Tianjin 2025 : l’Eurasie défie l’Occident

Le 25ᵉ sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS), réuni à Tianjin les 31 août et 1er septembre, a envoyé un message limpide : l’Occident ne peut plus prétendre au monopole de la puissance. En rassemblant plus de vingt dirigeants, dont Xi Jinping, Vladimir Poutine, Narendra Modi, Recep Tayyip Erdoğan et Masoud Pezeshkian, l’organisation a mis en scène l’émergence d’un monde multipolaire où l’Eurasie dicte ses propres règles.

Un front hétérogène, une même cible

L’OCS n’est pas une alliance militaire homogène, ni un bloc idéologique soudé. Mais à Tianjin, ses membres ont affiché un point commun : la volonté de contester l’ordre occidental. Les États-Unis et l’Union européenne ont été visés à mots couverts mais sans ambiguïté. Le vocabulaire récurrent — « rejet de la mentalité de guerre froide », « respect de la souveraineté », « équité mondiale » — sonnait comme un réquisitoire contre les sanctions, l’unilatéralisme et la domination du dollar.

Pékin, moteur économique

Hôte du sommet, Xi Jinping a mené l’offensive institutionnelle. La proposition d’une banque de développement de l’OCS, l’octroi de financements massifs en yuans et la création de corridors énergétiques verts en Asie centrale visent à saper l’hégémonie financière américaine. Derrière ces annonces, un message direct : le système dominé par le dollar n’est plus incontournable. La Chine veut incarner l’architecte d’un ordre économique alternatif.

Moscou, la revanche stratégique

Pour Vladimir Poutine, Tianjin était une scène idéale. Isolé par la guerre en Ukraine, il a trouvé dans l’OCS une légitimité diplomatique. Son discours a fustigé la responsabilité occidentale dans le conflit et plaidé pour une architecture de sécurité purement eurasienne. Le Kremlin envoie ainsi un avertissement : malgré les sanctions et l’isolement, la Russie s’inscrit dans un bloc qui lui offre à la fois relais et audience.

New Delhi, le pragmatisme assumé

Narendra Modi a choisi la voie du « ni aligné, ni soumis ». En se rendant personnellement à Tianjin, malgré ses tensions avec la Chine, il a rappelé que l’Inde entend jouer sur plusieurs tableaux. Le message adressé à Washington comme à Bruxelles est clair : New Delhi reste ouverte à la coopération, mais refuse toute dépendance stratégique. L’Inde veut demeurer l’arbitre de l’équilibre mondial, pas l’otage d’un camp.

Ankara, puissance pivot

La Turquie a trouvé dans ce sommet une opportunité de réaffirmer sa liberté de manœuvre. Recep Tayyip Erdoğan, tout en restant membre de l’OTAN, a multiplié les gestes de proximité avec Pékin et Moscou. À travers cette posture d’équilibriste, il lance un avertissement à l’Occident : Ankara n’est plus un simple allié docile, mais une puissance autonome capable de se tourner vers l’Est si ses intérêts l’exigent.

Téhéran, la revanche symbolique

Enfin, pour Masoud Pezeshkian, le président iranien fraîchement élu, Tianjin avait valeur de revanche. Sous sanctions occidentales depuis des décennies, l’Iran a trouvé dans l’OCS une plateforme de reconnaissance internationale. Son message à Washington et Bruxelles : les tentatives d’isolement échouent, Téhéran n’est plus marginalisé.

L’Afrique encore à la porte

Un absent de taille : le continent africain. L’Algérie, qui a plusieurs fois manifesté son intérêt pour un statut d’observateur, n’a pas été représentée. Une lacune qui illustre le décalage entre le discours d’ouverture au Sud global et la réalité d’une organisation encore centrée sur l’Eurasie. Mais la dynamique est enclenchée, et le futur pourrait bien passer par une intégration progressive de l’Afrique.

L’élargissement, un signal politique fort

Au-delà des messages politiques, Tianjin a confirmé la vocation d’expansion de l’OCS. L’organisation compte désormais dix membres : Chine, Russie, Inde, Iran, Pakistan, Kazakhstan, Kirghizistan, Tadjikistan, Ouzbékistan et Biélorussie (rejointe en 2024). Deux États conservent un statut d’observateur : Afghanistan et Mongolie. Quinze autres pays participent comme partenaires de dialogue, dont la Turquie, l’Azerbaïdjan, l’Arménie, l’Égypte, l’Arabie saoudite, le Qatar, les Émirats arabes unis, Bahreïn, le Cambodge, le Myanmar, le Sri Lanka, le Népal, les Maldives et le Koweït. Enfin, plusieurs États ont officiellement manifesté leur intérêt pour rejoindre l’OCS, à commencer par l’Algérie, qui vise un statut d’observateur, mais aussi le Bangladesh, le Vietnam et l’Ukraine, parmi d’autres. Cet élargissement progressif traduit l’attractivité de l’organisation pour le Sud global, en quête d’alternatives aux structures dominées par l’Occident.

Un avertissement à l’Occident

Au total, Tianjin n’a pas scellé une alliance formelle, mais a envoyé un signal clair : l’ordre mondial est en train de basculer. Chacun à sa manière, Xi, Poutine, Modi, Erdoğan et Pezeshkian ont rappelé que les États-Unis et l’Europe ne dictent plus seuls l’agenda international.

L’OCS, qui compte désormais dix membres (Chine, Russie, Inde, Iran, Pakistan, Kazakhstan, Kirghizistan, Tadjikistan, Ouzbékistan, Biélorussie) et dix-sept partenaires ou observateurs (dont Turquie, Égypte, Malaisie, Mongolie, Azerbaïdjan, Arménie, et désormais le Laos), s’affirme comme un forum incontournable du multipolarisme.

L’Occident devra s’y résoudre : le centre de gravité du monde se déplace vers l’Eurasie. Tianjin n’était pas une démonstration d’unité parfaite, mais un avertissement. Et ce message, Washington comme Bruxelles l’ont entendu.

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