La Mue de Monsieur Stora

Dans son rapport remis en janvier 2021 au Président de la République, Benjamin Stora n’aura été que le scribe du prince. Malgré ses 111 pages et ses 22 recommandations, Stora, l’historien officiel de l’Élysée pour l’histoire de l’Algérie coloniale, est passé à côté — si l’on peut dire — de la catastrophe humanitaire et environnementale qui a frappé l’espace saharien de l’Algérie de 1960 à 1966, lors des expériences de notre bombe atomique, avec leurs nombreux ratés, comme celui du tir Béryl du 1er mai 1962.
Si, dans l’une de ses recommandations, Stora demande au chef de l’État de déclassifier et de publier les archives, il ne précise pas celles classées secret-défense sur les essais nucléaires. Il retient seulement la présence indésirable des déchets radioactifs. Or, si l’on s’en tient aux treize essais en galeries dans la montagne du Tan Affela, à In Ekker, dans le Hoggar, nous avons dévasté cet espace saharien sur le plan humain, en irradiant les populations locales dites « des oasis » et en contaminant ses sables pour la nuit des temps.
Contrairement à la thèse officielle, quatre essais n’ont pas été confinés et ont causé des fuites radioactives dont l’ampleur n’a jamais été dévoilée, afin de ne pas engager la responsabilité de la France. Le silence de Stora a pesé lourd compte tenu de sa présence médiatique. Il ne peut s’expliquer que par son impréparation concernant le passif de nos essais nucléaires ou, ce qui me semble tout aussi vraisemblable, par son souci de ne pas déplaire au prince.
Il faudra attendre 2025 pour que Monsieur Stora vire sa cuti, en tendant l’oreille aux revendications exprimées au sommet de l’État algérien : que la France reconnaisse sa responsabilité, qu’elle se résolve aux réparations pour indemniser ses victimes et qu’elle nettoie les sites de leurs déchets radioactifs, sans compter le préjudice moral subi par les Touaregs, abandonnés à leur sort d’irradiés, cause principale de cancers et de malformations transmissibles d’une génération à l’autre.
Dans un entretien donné à France Inter, Monsieur Stora se penche enfin sur le sort de ces oubliés, sur le silence du ministère de la Défense — détenteur des archives les plus compromettantes — et, plus précisément, en dévoilant une carte connue dès 2013 révélant les zones les plus exposées aux retombées radioactives, permettant ainsi de recenser les populations les plus touchées.
Il nous reste à demander à Monsieur Stora d’adresser au Président de la République, son mentor, un complément à son rapport de 2021, afin de le sensibiliser à la cause de nos amis Touaregs, dépossédés de leur terre ancestrale.