Irradiés et oubliés : les photos inédites du dernier témoin des essais nucléaires français au Sahara
Un touareg algérien photographié par Louis Bulidon en 1961
À 89 ans, Louis Bulidon, ancien appelé de l’armée française et ingénieur chimiste, est le dernier témoin vivant du sinistre essai nucléaire Béryl, conduit en 1962 dans le Sahara algérien. Pour la première fois, il confie à la rédaction d’Atipik ses souvenirs, ses photos inédites, et un appel poignant à la justice.
Une mémoire brûlante du désert irradié
Entre 1960 et 1966, la France a mené 17 essais nucléaires dans le Sahara algérien, à Reggane puis à In Ekker, alors que l’Algérie était encore sous domination coloniale. Parmi eux, l’essai Béryl, le 1er mai 1962, a laissé des traces indélébiles : une explosion souterraine mal contenue, une fuite radioactive majeure, des irradiations massives d’appelés, de scientifiques, et de populations locales, notamment les Touaregs, nomades du désert.
Parmi les témoins directs : Louis Bulidon, affecté comme ingénieur chimiste par l’armée française. Aujourd’hui aveugle, il ne prétend pas que sa cécité est forcément liée aux radiations. Mais une chose est claire : « Le désert n’était pas vide, dit-il. Il était habité. Nous avons vu les Touaregs, nous les avons photographiés. Ils étaient là, ils ont été exposés. »
Pour la première fois, Louis Bulidon partage avec Atipik des photos prises de sa main : des visages, des scènes de vie touareg, des instants volés au milieu du silence du désert… preuve irréfutable que les populations locales n’ont jamais été « absentes » comme le prétendait l’armée française.
Une injustice coloniale encore niée
Pendant des décennies, la France a nié l’ampleur des conséquences humaines de ces essais. Alors qu’elle a commencé à reconnaître — lentement — les souffrances des vétérans français et des Polynésiens victimes des tests nucléaires dans le Pacifique, les victimes algériennes, elles, n’ont toujours reçu ni excuses, ni réparation.
Louis Bulidon, témoin lucide de l’absurde, s’en indigne :
« On a traité les Touaregs comme des ombres. On a voulu effacer leur existence. Mais moi je les ai vus. Je les ai photographiés. Ils n’étaient ni invisibles ni ignorants. Ils étaient simplement méprisés. »
Aujourd’hui, ce survivant lance un dernier appel à la vérité et à la dignité. Il réclame, au nom de l’Histoire, que la France reconnaisse ses crimes nucléaires au Sahara, ouvre ses archives, répare les victimes, et dédommage les familles exposées et décimées par une politique nucléaire coloniale menée dans le silence et le mensonge.
Quand la France réparera-t-elle l’Algérie comme elle a réparé la Polynésie ?
L’État français vient de faire un pas vers les populations polynésiennes, en indemnisant des familles touchées par les essais réalisés dans le Pacifique. Mais pourquoi ce silence persistant sur l’Algérie ? Pourquoi cette discrimination mémorielle ?
Les preuves sont là. Les témoins s’éteignent. Mais les radiations, elles, restent. Elles s’enfoncent dans les terres et les corps, génération après génération.
Il est temps.
Il est temps que la France regarde le Sahara dans les yeux.
Il est temps qu’elle reconnaisse l’ampleur des dégâts, le mépris colonial, et la douleur des oubliés.
Il est temps que les Touaregs irradiés aient droit à la vérité, à la reconnaissance et à la justice.
