Il est des hommes dont la grandeur dépasse les frontières du temps et des institutions. Miloud Brahimi est de ceux-là. Premier et grand avocat de l’Algérie indépendante, il n’a jamais perdu un combat judiciaire, sauf celui contre la maladie. Un procès inégal dont l’issue, bien que cruelle, ne saurait ternir l’héritage qu’il laisse derrière lui.

Je suis sa cousine, et enfant, je rêvais d’être avocate comme lui. Comme lui, je voulais défendre les causes justes, les voix étouffées, les âmes en quête de justice. Mais le destin en décida autrement. Lorsque mon heure fut venue d’entrer en faculté, la langue de la justice avait changé. Le français, ce socle sur lequel mon cousin avait bâti sa carrière et son éloquence, fut évincé des bancs de l’université. J’ai alors choisi un autre chemin, celui des sciences économiques puis du journalisme, car si je ne pouvais plaider, je pouvais au moins porter la voix de ceux qu’on voulait faire taire.

Miloud Brahimi a toujours su que la justice n’est pas un privilège, mais un droit fondamental. Il a vu cette même justice vaciller sous le poids des influences, mais il n’a jamais cédé. Dans les prétoires, il était un roc, un homme dont la parole, ciselée comme une œuvre d’art, résonnait bien au-delà des tribunaux. Ses plaidoiries n’étaient pas seulement des discours, elles étaient des leçons d’histoire, de droit et d’humanité. Ses pairs l’ont admiré, ses adversaires l’ont respecté et les juges l’ont écouté avec une déférence rare.

Aujourd’hui, il a quitté son cabinet de la rue Larbi Ben M’hidi, non par choix, mais par nécessité. Il a laissé derrière lui des décennies de combats, des victoires éclatantes et des engagements indéfectibles. Son plaidoyer ultime, il ne l’a pas livré dans une salle d’audience, mais dans sa vie tout entière, dans chaque cause qu’il a défendue, dans chaque mot qu’il a écrit.

Son dernier client fut Saïd Bouteflika, le frère conseiller de l’ancien président algérien Abdelaziz Bouteflika. En 2022, quand j’ai pu retourner en Algérie après 20 ans d’interdiction, car Saïd Bouteflika m’en avait empêché, j’ai tenu à rendre visite à Miloud dans son cabinet de la rue Larbi Ben M’hidi. Il m’a alors avoué qu’il ne pouvait plus rencontrer son client, ce dernier ayant été déplacé dans une prison du grand Sud algérien. Mais il continuait à échanger avec lui par visioconférence. Saïd Bouteflika savait-il que son avocat était mon cousin ? La vie est sans ironie… L’homme qui m’a fait le plus de mal est défendu par l’homme que j’admire le plus au monde. C’est cela aussi, être un grand avocat : savoir séparer les relations familiales et professionnelles.

Alors, de son vivant, je veux lui rendre hommage. Lui dire que son héritage ne s’éteindra jamais. Que ceux qui l’ont écouté, lu et admiré perpétueront son combat. Que son nom restera gravé dans l’histoire de la justice algérienne. Qu’il est, et restera, cette conscience inébranlable qui refusait les compromissions, qui brandissait la vérité comme une arme et qui, malgré tout, croyait en un avenir plus juste.

Longue vie à toi, Miloud. Que ton nom résonne encore longtemps dans les cœurs, les esprits et au-delà des frontières. Ton dernier plaidoyer n’est pas encore clos, car nous sommes nombreux à continuer l’œuvre que tu as commencée.

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