La Belgique face à son passé colonial : Crimes contre les enfants métis du Congo, une victoire mitigée
Le lundi 2 décembre 2024 marque une date clé dans l’histoire juridique belge et mondiale. La cour d’appel de Bruxelles a prononcé un jugement qualifiant les enlèvements systématiques des enfants métis au Congo belge, entre 1915 et l’indépendance en 1960, de “crimes contre l’humanité”. Une décision d’une portée historique, qui lie cette page sombre de l’histoire coloniale belge aux principes de droit international établis lors des procès de Nuremberg.
À l’origine de cette décision, le combat acharné de cinq femmes métisses : Léa Tavares Mujinga, Monique Bitu Bingi, Noëlle Verbeeken, Simone Ngalula et Marie-José Loshi. Nées au Congo entre 1945 et 1950 comme près de 20.000 autres enfants, elles ont été arrachées à leur famille et placées dans des institutions religieuses sous la tutelle de l’État colonial belge. Leur crime ? Être nées de l’union d’une mère congolaise et d’un père blanc, dans une société coloniale profondément marquée par le racisme et l’idéologie de la suprématie raciale.
Selon leur avocate, Michèle Hirsch, ces enlèvements constituaient un acte systématique d’”élimination civile”. Privés de leur identité, ces enfants voyaient souvent leurs prénoms modifiés et leur date de naissance effacée. Ils étaient coupés de leur culture et de leur famille, sous prétexte qu’ils représentaient une menace à l’ordre colonial. Comme l’explique Léa Tavares Mujinga : « Quand on nous a enlevées, nous n’étions rien. Il faut que le monde entier connaisse cette histoire. »
La décision de la cour d’appel, à la différence de celle rendue en première instance, estime que ces actes ne peuvent être prescrits. En les qualifiant de crimes contre l’humanité, les juges se sont appuyés sur des principes internationaux tirés du Statut de Nuremberg, mais aussi sur des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Ce jugement établit un précédent en associant les violences coloniales à une reconnaissance juridique internationale.
L’élément déterminant de cette qualification réside dans le caractère systémique des enlèvements. Ces enfants étaient ciblés exclusivement pour leurs origines métisses, perçues comme une menace par les autorités coloniales. En effet, le métissage était vu comme une atteinte au prestige racial des Blancs et une possible source de révolte contre le système colonial. Ces idées profondément ancrées ont conduit à des politiques brutales d’enlèvement et de séparation, conduites en pleine connaissance des principes internationaux établis après la Seconde Guerre mondiale.
Outre la reconnaissance des crimes, la cour a ordonné à l’État belge de verser des indemnisations financières significatives aux plaignantes. Cependant, pour ces cinq femmes aujourd’hui âgées de près de 80 ans, la victoire est avant tout morale. Comme le souligne Assumani Budagwa, auteur du livre Noirs-Blancs, Métis, ce combat n’était pas motivé par l’argent, mais par un besoin de reconnaissance et de justice.
Ces femmes ont porté le fardeau d’une enfance brisée, marquée par des traumatismes transgénérationnels. Après des années de silence, elles ont trouvé le courage de témoigner, d’abord auprès de leurs proches, puis publiquement. Leur démarche a également bénéficié de la publication d’ouvrages et de recherches, notamment celles de Budagwa, qui ont éclairé les pratiques de l’État colonial belge.
Bien que ce jugement établisse un précédent, il reste à voir s’il ouvrira la voie à d’autres poursuites pour des crimes coloniaux. Les résistances sont encore fortes en Belgique, où des groupes influents continuent à glorifier l’héritage colonial et à minimiser ses abus. Assumani Budagwa exprime ainsi son scepticisme quant à un changement radical, soulignant les pressions des lobbys coloniaux et l’attitude prudente du gouvernement, qui a souvent préféré des déclarations de regret à des excuses formelles.
Ce jugement constitue néanmoins une étape importante vers une reconnaissance plus large des injustices coloniales. Il montre que les violences du passé, même longtemps occultées, peuvent être jugées et réparées. Pour les victimes et leurs descendants, il offre une forme d’apaisement et contribue à rétablir leur dignité.
Ce verdict rappelle également l’importance de préserver une mémoire critique du passé colonial. Les enfants métis arrachés à leurs familles ne sont qu’un exemple des nombreuses victimes des politiques raciales de la colonisation. À travers cette décision, c’est tout un système de domination et d’exploitation qui est remis en question.
Alors que la Belgique peine encore à affronter pleinement son histoire, ce jugement envoie un message clair : les crimes du passé ne peuvent être effacés, et leurs victimes méritent reconnaissance et justice.