Explosions nucléaires françaises : mémoire à deux vitesses, silence sur les Algériens

Alors que les essais nucléaires français en Polynésie commencent enfin à susciter un débat public et politique, les victimes touarègues des premières explosions atomiques dans le Sahara restent dans l’ombre. Louis Bulidon plaide pour une mémoire équitable : celle qui reconnaît aussi les souffrances oubliées des populations algériennes irradiées entre 1960 et 1966, abandonnées sans réparation ni reconnaissance.

Ce vendredi, Radio France Culture a diffusé une remarquable émission consacrée aux traumatismes intergénérationnels subis par les Polynésiens, victimes des campagnes d’essais nucléaires menées par la France entre 1966 et 1996. Ce plaidoyer, nourri de témoignages poignants, s’appuie également sur les conclusions à venir de la commission d’enquête parlementaire sur le passif de ces essais et sur la dette de la France envers la Polynésie.

L’émission donne lieu à un débat contradictoire avec un médecin missionné par le Commissariat à l’énergie atomique (CEA), contestant le lien entre exposition aux radiations, la survenue de cancers, et leur possible transmission génétique. Elle rappelle surtout une vérité longtemps occultée : les Polynésiens n’ont jamais été consultés sur l’utilisation de leur territoire pour les essais nucléaires. Ils n’ont pas non plus été informés des risques. À l’époque, le dogme officiel prétendait que les essais étaient “propres” et qu’il n’y avait pas de victimes.

Pourtant, aujourd’hui encore, seules 40 % des demandes d’indemnisation ont été acceptées par l’État, concernant environ 2 400 personnes.

Si l’initiative éditoriale de France Culture mérite d’être saluée, il est difficile de ne pas remarquer l’angle mort persistant : qu’en est-il des populations touarègues du Sahara, elles aussi victimes des essais nucléaires français, mais oubliées de la mémoire nationale ?

Car avant la Polynésie, il y eut l’Algérie. Les sites de Reggane et d’In Ekker, dans les régions du Hoggar et du Tassili n’Ajjer, ont été choisis dès 1960, alors que l’Algérie était encore une colonie. Les accords d’Évian de mars 1962, qui ont mis fin à la guerre, autorisaient la France à poursuivre ses essais jusqu’en 1966. À cette date, la France s’est retirée, laissant les sites… et les populations locales, livrés à eux-mêmes.

En Polynésie, 196 tirs à l’hydrogène ont eu lieu. Dans le Sahara, 17 tirs nucléaires, dont plusieurs ont mal tourné. L’essai « Béryl », réalisé à In Ekker en 1962, reste tristement célèbre : un nuage radioactif s’échappa d’une galerie souterraine, contaminant des dizaines de personnes présentes sur le site, avec une dispersion jusqu’au-delà des frontières sahariennes. Contrairement à la Polynésie, les Touaregs ont été irradiés dans un environnement immédiat, sans protection aucune.

Les conséquences, elles, restent tues. Les archives militaires françaises ne sont pas accessibles, et l’on ne sait presque rien des suivis médicaux ou sanitaires postérieurs. Ce n’est qu’à l’occasion d’un documentaire de France 24 que l’on a pu entendre une oncologue de Tamanrasset affirmer que l’on recensait davantage de cancers dans le Sud algérien que dans le Nord.

Quant au Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires (Civen), il n’a reconnu qu’un seul dossier provenant d’Algérie. Pourtant, les estimations démographiques évoquent près de 25 000 Touaregs vivant dans les zones concernées à l’époque.

Le président de la République a récemment reconnu une forme de responsabilité morale de la France vis-à-vis des irradiés polynésiens. Mais pas un mot, pas un geste n’a encore été adressé aux Touaregs. Le silence persiste, alors que les derniers témoins disparaissent peu à peu, emportant avec eux une mémoire enfouie sous les sables et les mensonges.

Le général de Gaulle, artisan de la politique nucléaire française, a longuement consigné ses mémoires de guerre. Il n’a, en revanche, jamais évoqué les essais nucléaires ni les populations qui en ont payé le prix. Hormis un « hourra » resté célèbre après le premier tir à Reggane, il n’a laissé aucune trace du coût humain de cette “grandeur atomique” qu’il revendiquait.

Ce devoir de mémoire incombe désormais à notre génération.

A propos de l'auteur

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *