De l’islamisme au féminisme : Kamel Daoud, une ascension pavée de controverses
Kamel Daoud, ancien islamiste devenu écrivain primé, est aujourd’hui au cœur d’un scandale retentissant. Lauréat du prestigieux prix Goncourt 2024 pour son roman Houris, l’auteur algérien est accusé par Saâda Arbane, une survivante de la décennie noire, de s’être approprié son histoire tragique sans son consentement. Ce récit met en lumière une trajectoire controversée, où ambitions personnelles, trahisons, et manœuvres douteuses semblent s’entrelacer.
Une trajectoire en zigzag : entre islamisme et quête de notoriété
Originaire d’un village de l’Ouest algérien, Kamel Daoud a grandi dans un contexte modeste, limité par ses difficultés d’élocution en français. Militant islamiste dans sa jeunesse, prônant la république islamique, il aurait été connu pour sa violence, particulièrement envers les femmes, dont sa première épouse, victime de sévices physiques et psychologiques. Mais au fil des années, Daoud change radicalement de discours. Délaissant l’islamisme, il se consacre à la maîtrise du français, qu’il perçoit comme un tremplin vers la reconnaissance internationale.
À travers ses écrits, il détricote les thèses islamistes, renie ses origines culturelles, et adopte un discours féministe, séduisant les cercles intellectuels de l’autre côté de la Méditerranée. Marié à une psychiatre, il façonne son image d’opposant au régime algérien, consolidant sa position comme figure emblématique d’une littérature algérienne francophone tournée vers l’Occident.
Le scandale Saâda Arbane : un récit volé
Saâda Arbane, aujourd’hui trentenaire, accuse Daoud et son épouse d’avoir exploité son histoire personnelle pour écrire Houris. Survivante d’un massacre en 1999 à Djelfa, où sa famille a été décimée par des terroristes, Saâda porte encore les marques de cette tragédie, notamment une blessure au cou qui a presque détruit ses cordes vocales. Selon elle, Kamel Daoud a utilisé des détails intimes, obtenus par sa femme, sa psychiatre, qui aurait violé le secret médical.
Pendant plusieurs années, une relation amicale s’était développée entre Saâda et l’épouse de Daoud, dépassant le cadre professionnel. Les deux femmes se fréquentaient, leurs enfants jouant ensemble. Cependant, cette proximité avait un objectif caché : recueillir les confidences de Saâda pour nourrir l’inspiration littéraire de Kamel Daoud.
Une éthique piétinée
La psychiatre, censée être tenue au secret professionnel, aurait progressivement gagné la confiance de Saâda pour lui soutirer des détails personnels. Ces informations ont ensuite été intégrées dans le roman Houris, dont le personnage principal, Aube, partage de troublantes similitudes avec Saâda : blessures au cou, passion pour les chevaux, et parcours de résilience.
Dans une interview sur « Algeria One », une télévision privée algérienne, Saâda affirme qu’elle n’a jamais consenti à ce que son histoire soit utilisée. La révélation de ces éléments dans le roman l’a bouleversée, d’autant plus qu’elle y a retrouvé des détails que seule sa psychiatre connaissait. Cette trahison a poussé Saâda à engager une double procédure judiciaire, en France et en Algérie, contre Kamel Daoud et son épouse.
Une manipulation littéraire savamment orchestrée
Le titre initial envisagé par Daoud, Joie, traduit de l’arabe Farah ou Saâda (qui signifie bonheur), souligne le cynisme de la démarche. Face au refus de Gallimard, ce choix a été abandonné, mais l’intention reste un indice révélateur des manipulations derrière la création de l’œuvre.
Lors de l’émission Quelle époque sur France 2, Daoud aurait lui-même reconnu qu’il cherchait avant tout la gloire et l’argent, une déclaration qui résonne comme un aveu. Sa quête effrénée de notoriété semble avoir franchi des limites éthiques, au détriment de la dignité de Saâda Arbane.
Les conséquences : un avenir incertain pour Daoud et son épouse
Le scandale soulève des questions fondamentales. Kamel Daoud risque-t-il de perdre son prix Goncourt ? Gallimard, la maison d’édition, prendra-t-elle ses distances avec l’auteur ? Sur le plan juridique, l’épouse de Daoud pourrait être interdite d’exercer en France et en Algérie pour violation du secret médical.
Pour Saâda Arbane, la lutte est désormais celle de la réhabilitation. Elle veut laver son honneur, dénoncer l’instrumentalisation de son traumatisme et s’assurer que justice soit rendue. Son témoignage met en lumière les pratiques parfois cyniques d’une littérature prête à tout pour séduire, même au prix de la douleur des autres.
Cette affaire dépasse les simples frontières algériennes et françaises. Elle pose des questions universelles sur les limites de l’inspiration littéraire, le respect du consentement, et l’éthique professionnelle. En voulant capturer l’horreur de la décennie noire, Kamel Daoud pourrait bien avoir sacrifié ce qui donne son essence à l’écriture : l’intégrité.