Sarkozy–Kadhafi : de la promesse d’alliance à la guerre totale
Un président français condamné, un président libyen assassiné : les deux faces d’une même histoir
Près de quatorze ans après la mort de Mouammar Kadhafi, le nom de Nicolas Sarkozy continue de hanter la mémoire libyenne et la scène politique française.
Condamné en septembre dernier à cinq ans de prison ferme pour association de malfaiteurs dans le dossier du financement libyen présumé de sa campagne de 2007, l’ancien président purge désormais sa peine à la prison de la Santé, à Paris.
Mais au-delà du volet financier, un autre pan de l’histoire refait surface : le rôle déterminant de la France dans le bombardement de la Libye en 2011 et l’assassinat du guide libyen. Deux affaires distinctes en justice, mais étroitement liées par les acteurs, les dates et les soupçons.
2007 : l’argent libyen, l’élection et les valises de Tripoli
Les enquêteurs français ont mis au jour un faisceau d’indices reliant des réseaux libyens et français autour du financement de la campagne de Nicolas Sarkozy.
Selon plusieurs témoins, dont l’intermédiaire franco-libanais Ziad Takieddine, le régime de Tripoli aurait transféré jusqu’à 50 millions d’euros en liquide ou via des circuits occultes.
Des documents internes libyens, révélés par Mediapart, mentionnent des versements à hauteur de 6,5 millions d’euros, bien que la justice n’ait jamais pu prouver la remise directe de ces fonds au candidat.
« Il est plausible que des fonds aient transité, mais il reste impossible d’établir un lien direct avec Nicolas Sarkozy lui-même, » résume le politologue français Pascal Boniface, directeur de l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS).
Pour le tribunal, il n’en reste pas moins que l’entourage de l’ex-président a participé à un système concerté de financement illicite, dissimulé sous des contrats d’armement ou de coopération diplomatique.
Sarkozy, lui, persiste : « Je n’ai jamais trahi la France ni reçu le moindre centime de Kadhafi », a-t-il déclaré à sa sortie du tribunal avant son incarcération. Son équipe a déposé un appel immédiat.
2011 : de l’amitié diplomatique au feu des bombes
Quatre ans plus tard, c’est un tout autre visage de la France que découvre la Libye.
En mars 2011, Paris devient la première capitale occidentale à frapper militairement le régime de Kadhafi. L’opération, baptisée Harmattan, marque le début d’une intervention de l’OTAN qui aboutira à la chute du régime le 20 octobre.
Pour de nombreux observateurs libyens, ce renversement brutal relève d’une trahison.
« Sarkozy a voulu effacer les traces d’un passé compromettant. L’intervention a été politique avant d’être humanitaire, » affirme Mohamed El-Fitouri, ancien diplomate libyen réfugié à Tunis.
Les autorités françaises défendent, elles, une lecture différente : celle d’une mission internationale légitime, approuvée par le Conseil de sécurité de l’ONU, visant à protéger les civils de Benghazi contre la répression du régime.
Mais pour beaucoup, cette guerre a laissé derrière elle une Libye fragmentée, un pays livré aux milices et à l’instabilité chronique — et une France fragilisée dans sa crédibilité africaine.
Kadhafi mort, le silence des preuves
Le 20 octobre 2011, le convoi de Mouammar Kadhafi est bombardé près de Syrte. Capturé vivant, il est exécuté quelques heures plus tard dans des conditions encore floues.
Depuis, Tripoli n’a jamais cessé d’accuser Paris d’avoir joué un rôle actif dans sa traque.
Des responsables libyens affirment même que kadhafi aurait menacé de “révéler tout” sur le financement de Sarkozy quelques jours avant sa mort.
Aucune preuve formelle n’a jamais étayé cette thèse, mais elle continue de hanter la diplomatie française.
« Le doute, en politique internationale, vaut parfois condamnation symbolique », note Gérard Chaliand, spécialiste des conflits armés. « En détruisant la Libye, la France a aussi détruit un témoin gênant. »
Deux dossiers, un même fil rouge : l’opacité du pouvoir
Si la justice française a tranché une première fois sur le volet financier, le second dossier – celui du bombardement et de la mort de Kadhafi – reste juridiquement hors d’atteinte.
Les décisions militaires relèvent de la souveraineté de l’État, non du champ pénal.
Pour autant, plusieurs ONG, dont ReOpen911 France et Transparency International, appellent à la création d’une commission internationale indépendante chargée d’examiner les liens entre la politique étrangère française et ses intérêts privés.
L’analyse : le crépuscule de la “realpolitik” française
Entre 2007 et 2011, Nicolas Sarkozy aura incarné la diplomatie des contrastes : celle des contrats signés à Tripoli et des missiles lancés sur Syrte.
Son itinéraire, de l’alliance au conflit, révèle une constante de la politique étrangère française : le mélange explosif d’intérêts économiques, d’ambitions personnelles et de stratégie militaire.
Aujourd’hui, l’homme politique est derrière les barreaux, et le pays qu’il a contribué à renverser demeure plongé dans le chaos.
Le verdict judiciaire referme une porte sur la corruption politique, mais laisse ouverte une question plus large :
combien coûte vraiment, pour une démocratie, le prix d’une guerre née d’un pacte secret ?
